La diversité fonctionnelle des requins s’effondre

Carcharhinus albimarginatus, requin pointes blanches de récif patrouillant dans le bleu de l’océan, atoll de Rangiroa, Archipel des Tuamotu, Polynésie Francaise @Myriam Dupuis

La diversité fonctionnelle des espèces correspond aux différents rôles écologiques qu’elles assurent. Chaque espèce vivante a une ou plusieurs fonctions, que nous ne connaissons pas forcément. Ces fonctions peuvent être étudiées en lien avec la notion de services écosystémiques.

Ainsi, lors de recherches récentes, l’université de Swansea et l’université de Zurich ont révélé que les requins ont conservé des niveaux élevés de diversité fonctionnelle pendant la majeure partie des derniers 66 millions d’années. Toutefois, ils ont également constaté que la diversité fonctionnelle des requins s’effondre : elle a décliné régulièrement au cours des 10 derniers millions d’années pour atteindre aujourd’hui sa valeur la plus basse. En clair, moins de requins mène à moins de fonctions écologiques assurées.

Quels rôles écologiques jouent les requins ?

Les requins ont survécu à de nombreux changements environnementaux au cours de leur histoire de 400 millions d’années. Toutefois, les requins actuels sont parmi les espèces les plus menacées de disparition. Les quelque 560 espèces de requins jouent de nombreux rôles écologiques, depuis le rôle de prédateurs supérieurs à celui de transporteurs de nutriments.

Entre autres fonctions, les requins régulent directement les populations de prédateurs intermédiaires et donc indirectement les populations des autres maillons de la chaîne alimentaire. Les requins agissent également sur les récifs coralliens, les herbiers et très probablement aussi sur les milieux de profondeur. L’état des océans dépend donc, entre autres, de la bonne santé des populations de requins.

Comment mesurer cette perte de diversité fonctionnelle ?

Les rôles écologiques sont déterminés par les caractéristiques des espèces telles que la taille du corps, ce qu’elles mangent et comment elles mangent. Ainsi, la mesure de la diversité de ces traits permet aux scientifiques de quantifier l’éventail des rôles écologiques dans une communauté, également appelée diversité fonctionnelle. Et la diversité fonctionnelle des requins s’effondre.

Puisque les requins possèdent des squelettes cartilagineux mous peu susceptibles de se fossiliser, ces traits sont difficiles à mesurer directement chez les espèces éteintes. Cependant, les mesures de leurs dents, qui sont dures et donc bien conservées dans les archives fossiles, peuvent agir comme des marqueurs de caractères, qui peuvent à leur tour être utilisés pour quantifier la diversité fonctionnelle dans le passé géologique.

L’auteur principal de l’étude, Jack Cooper, doctorant à l’université de Swansea, a déclaré : « Les mesures comme la taille des dents, la forme et les types de bords reflètent largement les traits fonctionnels d’un requin tels que la taille du corps et l’alimentation, ce qui nous permet d’évaluer leur diversité fonctionnelle au fil du temps. »

Plus de 9000 dents de requins étudiées

Les chercheurs ont mesuré plus de 9000 dents de requins d’environ 500 espèces fossiles et vivantes. Ces dents de requins sont issues de collections de musées et de la littérature. Elles ont permis de quantifier la diversité fonctionnelle au cours de l’ère cénozoïque, soit depuis 66 millions d’années à nos jours.

Ils ont constaté que les requins maintenaient des niveaux élevés de diversité fonctionnelle – soit un large éventail de rôles écologiques – pendant la majeure partie de l’ère cénozoïque (qui a démarré il y a 66 millions d’années). Cette diversité a atteint un sommet il y a environ 20 millions d’années au Miocène. Cependant, ils ont également constaté qu’après ce pic, l’étendue des fonctions écologiques des requins a diminué régulièrement au cours des 10 derniers millions d’années. De fait, la diversité fonctionnelle actuelle des requins est inférieure à tout autre moment au cours des 66 derniers millions d’années.

La disparition d’espèces génère une perte de fonctions écologiques

En quantifiant les contributions écologiques des espèces individuelles, les chercheurs ont déterminé que le déclin observé était dû à la perte d’espèces écologiquement uniques et spécialisées. Parmi ces pertes, il y a l’extinction du mégalodon, le plus grand requin qui ait jamais existé, qui était un superprédateur apex – ou alpha -, un rôle écologique qui n’a plus été joué par aucun requin vivant aujourd’hui.

Jack Cooper a ajouté : « Non seulement nous avons constaté un net déclin de la diversité fonctionnelle, mais nous avons également constaté que les requins éteints dans leur ensemble contribuaient à un plus large éventail de rôles écologiques que les requins vivants. »

Une dégradation exponentielle des écosystèmes

Les résultats de l’étude indiquent que les menaces humaines comme la surpêche, qui pousse les requins d’aujourd’hui vers l’extinction, érodent probablement davantage les contributions écologiques déjà diminuées des requins au fonctionnement des écosystèmes. Moins de requins, c’est beaucoup moins de fonctions écologiques assurées.

Le Dr Catalina Pimiento, professeur à l’université de Zurich et maître de conférences à l’université de Swansea, a déclaré : « En identifiant les espèces modernes de requins occupant une partie de l’espace fonctionnel du Cénozoïque [depuis 66 millions d’années], notre étude pourrait potentiellement compléter les priorités de conservation pour la préservation de la diversité fonctionnelle des requins dans notre monde en évolution« .

Source : l’étude est publiée dans Global Ecology and Biogeography, 2024 par Jack A. Cooper, Catalina Pimiento : « The rise and fall of shark functional diversity over the last 66 million years« .