Les modes de reproduction des requins
En raison de leur croissance lente, de leur maturité tardive, de leur gestation longue et de leur faible taux de reproduction les requins sont parmi les animaux marins les plus vulnérables sur le plan de la biologie. Quels sont donc les modes de reproduction des requins ?
Trois stratégies de reproduction sexuée
Même s’il l’on sait encore peu de choses sur la vie des requins – les scientifiques ont actuellement décrit plus de 562 espèces -, on est en mesure, pour chacune de ces espèces, d’identifier son mode de gestation suite à une reproduction sexuée, soit un accouplement mâle/femelle. À ce sujet, la première vidéo d’un accouplement de requins gris a été filmée dans son intégralité, en environnement naturel à Rangiroa, par le caméraman sous-marin Yann Hubert il y a environ une quinzaine d’années. Depuis, d’autres films ont permis de documenter les accouplements, notamment en captivité. Et la nature ne manque pas d’imagination pour la reproduction de ces espèces marines.
La stratégie ovipare
C’est la stratégie de la femelle qui pond ses œufs dans l’eau. Les embryons se développent alors grâce aux réserves de vitelline contenues dans l’œuf. Les jeunes sont beaucoup plus vulnérables. Voici quelques espèces ovipares : le requin dormeur, le requin carpette, les roussettes – 17 espèces de 32 cm à 122 cm -, le requin zèbre, appelé également requin léopard.
Chez ce dernier requin, la femelle requin zèbre pond de 2 à 4 œufs dont l’enveloppe brune mesure 15 à 20 cm de long. Cette enveloppe est maintenue au fond par des prolongements fibreux. Les bébés requins zèbre qui sortent de leurs œufs mesurent environ 25 cm ; s’ils arrivent à l’âge adulte et ne sont pas prédatés -détruits, mangés avant -, les requins pourront alors atteindre 2,50 m.
La stratégie ovovivipare : la plus répandue
Cette stratégie nécessite que les œufs incubent et éclosent dans une poche commune dans le ventre de la mère, sans relation nutritive avec celle-ci. Souvent, la gestation est longue. Chez l’aiguillat commun (Squalus acanthias), elle atteint 22 mois ; chez le requin mako (Isurus oxyrinchus), elle pourrait atteindre 24 mois. Concernant le Grand requin blanc (Carcharodon carcharias), on estime que la gestation dure entre 12 et 18 mois. Toutefois, l’ovoviviparité génère de l’oophagie fœtale et/ou du cannibalisme intra-utérin, notamment chez les Lamnidés. Ainsi, au terme d’une longue gestation, seuls quelques petits autonomes voient le jour. C’est le cas pour des espèces comme le requin taureau (Carcharias taurus) , le requin renard (Alopias sp.), le requin mako, le requin pèlerin (Cetorhinus maximus), le requin tigre (Galeocerdo cuvier), le grand blanc.
La stratégie vivipare : la moins répandue
Les embryons se développent dans l’utérus de la mère, cloisonné en cellules distinctes. Chaque cellule renferme un embryon relié à un sac vitellin. La gestation dure de 9 à 13 mois. La fécondité est moindre mais le taux de survie est meilleur : il n’y a pas de cannibalisme intra-utérin ou d’oophagie.. C’est un mode avantageux pour les espèces pélagiques qui effectuent de grands déplacements : les petits naissent déjà formés et autonomes. La viviparité concerne les requins-marteaux (Sphyrna sp.) et requins-hâ (Galeorhinus galeus), les Carcharhiniformes tels que le requin longimane, requin soyeux, requin bordé, requin gris, requin corail, requin bouledogue …
Le joker : la reproduction asexuée ou parthénogenèse
Cela étant, la nature a mis au point un autre stratagème. En effet, depuis une vingtaine d’années, on a observé des phénomènes de reproduction permettant le développement d’un individu à partir d’un ovule non fécondé. Connue chez d’autres espèces animales comme des insectes, des vers ou des reptiles (varan de Komodo) – soit environ 80 espèces concernées par le phénomène à ce jour -, la parthénogenèse existe également chez les requins. Les observations, qui n’ont pu se faire qu’en aquarium, ont établi que des femelles de certaines espèces de requins possèdent la capacité de pouvoir faire des bébés femelles toutes seules (pas de gène Y de mâle).
Ainsi, à l’aquarium de La Rochelle, on a observé ce phénomène chez le requin zèbre (Stegostoma tigrinum) et chez le requin marteau tiburo (Sphyrna tiburo). Ces animaux ont recours à cette stratégie dans une situation particulière, où la femelle est isolée du reste de sa population, pendant plusieurs mois. Elle produit alors des embryons sans s’être accouplée avec un mâle de son espèce.
Ce phénomène avait été observé précédemment chez une femelle requin zèbre – Léonie – dans un aquarium australien. L’aquarium de Cala Gonone en Sardaigne a connu également un cas similaire de naissance d’une émissolle lisse (Mustelus mustelus) dans un bassin où deux femelles cohabitaient depuis une dizaine d’années, sans aucun mâle.
Ainsi, la parthénogenèse a donc été observée chez des requins femelles captifs séparées des mâles pendant de longues périodes. Enfin, on a constaté également que des femelles peuvent basculer entre parthénogenèse et reproduction sexuée selon la disponibilité des partenaires.
Conclusion
« Environ 15 espèces de requins et de raies sont connues pour faire cela. Mais il est probable que la plupart des espèces puissent le faire », déclarait il y a quelques années Demian Chapman, directeur du programme de conservation des requins et des raies au Mote Marine Laboratory & Aquarium en Floride. On ne connaît évidemment pas l’occurence des cas dans la nature. Serait-ce un dernier recours pour les femelles qui ne peuvent pas trouver de partenaire, de par le déclin de leur population par exemple ?
Doit-on encore rappeler que le déclin général des populations de requin est dû principalement aux impacts d’origine anthropique : surpêche, prédation, maladies liées aux activités humaines, changement climatique … ?