La Réunion : le préfet abroge son propre arrêté et ne paie pas ses amendes
Le préfet de La Réunion a abrogé le 14 mars 2023 son propre arrêté préfectoral n°2671 du 28 décembre 2021, qui organisait la destruction des requins dans les ZPR 2A de la Réserve marine pour la période 2021/2024. Ce n’est vraisemblablement pas par conviction, mais probablement pour ne pas payer une potentielle nouvelle amende.
Cet arrêté avait déjà été suspendu par le tribunal administratif le 28 mars 2022. Cette (auto)abrogation est en quelque sorte une nouvelle victoire pour les requins, puisque la Cour administrative d’appel de Bordeaux a prononcé le 31 janvier 2023 l’annulation du précédent arrêté relatif à la pêche aux requins dans les ZPR 2A, le n°298 du 15 février 2019.
Rappel des faits, entre arrêtés et abrogations
En 2019, le préfet de La Réunion prend un arrêté (n°298 du 15 février 2019) dont l’objet est la destruction des requins dans les zones de protection renforcée ZPR 2A de la Réserve marine pour la période 2019/2021.
L’association Sea Shepherd France dépose un recours contre cet arrêté. La requête est d’abord rejetée par le Tribunal administratif de La Réunion le 27 septembre 2021, au motif que Sea Shepherd est une association métropolitaine. Sea Shepherd fait appel. Le 31 janvier 2023, la Cour administrative d’appel de Bordeaux annule à la fois la décision du tribunal administratif et l’arrêté du préfet. En effet, la cour d’appel a reconnu que cet arrêté (…) « a pour effet d’entraîner de nombreuses prises accessoires, portant sur des spécimens d’espèces protégées dans une zone incluse dans le périmètre d’une réserve naturelle nationale. Il est ainsi de nature à porter atteinte à la protection d’espèces d’intérêt national et présente, dès lors, des implications excédant les seules circonstances locales.«
En juillet 2021, le préfet prend un nouvel arrêté similaire (n°1362 du 19 juillet 2021) pour la période 2021/2023 ; nouveau recours de Sea Shepherd France. Le préfet retire de lui-même son arrêté le 5 octobre 2021.
Toutefois, le préfet s’obstine et renouvelle, la même année, un arrêté similaire pour la période 2022/2024 (n°2671 du 28 décembre 2021). Cet arrêté sera suspendu le 28 mars 2022 par le Tribunal administratif de La Réunion, suite à un recours déposé par notre Collectif et l’association Vie Océane. Sans attendre son annulation probable, le préfet abroge de lui-même son arrêté le 14 mars 2023.
Pourquoi cette abrogation du 14 mars 2023 par le préfet ?
Se pose alors la question du pourquoi d’une décision aussi soudaine du préfet ? D’autant que la préfecture a adressé en février 2023 un communiqué aux médias locaux pour les informer de son désir de ne pas renoncer à la destruction – illégale – des requins dans les ZPR 2A de la Réserve marine, et ce, malgré la décision de la CAA de Bordeaux. Interrogée, la préfecture avait répondu avec une phrase sibylline : « Le préfet de La Réunion va donc se rapprocher du ministère de la transition écologique pour étudier les suites à envisager ».
Certes, l’arrêté n°2671 avait déjà été suspendu par une précédente ordonnance du tribunal administratif (TA) en date du 28 mars 2022.
Il n’en reste pas moins que la décision soudaine du préfet, un an après cette décision du TA de mars 2022, est tout à fait surprenante, d’autant que – le TA vient de nous le confirmer – aucune nouvelle décision du TA n’a pour l’instant été prise suite à notre dernier recours en annulation.
La réponse réside peut-être dans une simple histoire d’argent…
L’État a été condamné par le TA à payer 4000 € de dépens (article L761-1 Code juridiction administrative) par jugement du 11 octobre 2021 concernant l’arrêté préfectoral litigieux du 19 juillet 2021 relatif à la pêche aux requins dans les zones de protection renforcée ZPR 2A. À noter que l’arrêté avait été retiré précipitamment la veille du jugement par le préfet, lequel espérait peut-être ainsi échapper à une condamnation ?…
Par courrier du 7 décembre 2022 adressé à la préfecture, notre avocate Me Moreau a demandé le paiement des dépens.
Devant le refus de la préfecture d’honorer sa dette, notre avocate a été contrainte de demander au tribunal administratif une copie exécutoire de l’ordonnance du 11 octobre 2021, afin de pouvoir ensuite faire une demande d’exécution forcée à la préfecture.
Par courrier du 8 mars 2023 adressé à la Direction régionale des finances publiques, notre avocate a demandé le paiement des dépens au Trésorier payeur général.
La préfecture, ainsi relancée par le Trésorier payeur général, a fait savoir qu’elle avait bien enregistré cette demande, et qu’elle ordonnancerait « très bientôt » le paiement de ces dépens.
Dix-huit mois de combat pour – bientôt peut-être ? – se faire payer par la préfecture
Nouvelle interrogation puisque le préfet de La Réunion abroge son propre arrêté de destruction des requins (n°2671 du 28 décembre 2021) : cette décision soudaine serait-elle motivée par le même espoir de ne pas avoir à payer les dépens à l’occasion d’une éventuelle nouvelle condamnation ?
En la circonstance, seul le préfet pourrait y répondre …
Source : communiqué de presse de Didier Dérand
Association VAGUES
Représentant du Collectif « Requins en Danger à la Réunion »