Cambodge : une raie géante pêchée et relâchée
L’animal a été capturé accidentellement le 5 mai 2022 dans la province de Stung Treng, dans le Nord du Cambodge. En effet, c’est en avalant un poisson plus petit qui avait mordu à l’hameçon des pêcheurs que l’impressionnante raie s’est fait prendre. Et quelle prise ! Le poisson a été remis à l’eau après avoir été mesuré et pesé par des scientifiques du projet « Wonders of the Mekong » (Merveilles du Mékong), présents sur les lieux. La raie mesurait près de 4 mètres de long (avec son aiguillon) pour 180 kilos.
La raie géante d’eau douce
En 2021, on dénombrait 680 espèces de raies dans le monde. Cette fois, il s’agit d’une raie géante d’eau douce, Himantura polylepis (syn. Himantura chaophraya). L’envergure maximale connue pour cette espèce est de 2,5 m (hors aiguillon) pour un poids de 600 kg. La raie géante d’eau douce est une espèce menacée. De fait, l’espèce fait face à une forte pression de la pêche pour sa chaire, et de l’industrie des loisirs pour les aquariums. De plus, elle souffre aussi de la dégradation et de la fragmentation de son habitat. Ces facteurs ont entraîné un déclin important de la population, au moins dans le centre de la Thaïlande et au Cambodge. L’UICN l’a classée EN danger de disparition.
Le Mékong, un hotspot de biodiversité
Le Mékong est l’un des fleuves les plus longs d’Asie (4350 kilomètres de long). Prenant sa source dans les contreforts de l’Himalaya, il traverse la Chine, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam. Le fleuve abrite la biodiversité aquatique la plus importante du monde après l’Amazone. Concernant les poissons, on en compte plus de 1000 espèces (contre 120 espèces de poissons d’eau douce en France).
Par endroit, le fleuve atteint 80 mètres de profondeur. Il regorge d' »écosystèmes invisibles et cachés », relève dans un communiqué Zeb Hogan, biologiste américain de l’Université du Nevada et directeur du projet « Wonders of Mekong », financé par les Etats-Unis. Des spécimens gigantesques comme le poisson-chat géant ou le barbeau géant – qui peuvent atteindre 3 mètres et peser jusqu’à 300 kilos – peuplent aussi les eaux du fleuve.
…mais aussi un habit fractionné
Le Mékong est vital pour la survie de plus de 70 millions de personnes en Asie du Sud-Est. Cependant, le fleuve et sa faune sont menacés par les dizaines de barrages de production hydroélectrique. Ils sont construits en amont sur le fleuve, mais aussi sur ses affluents, par la Chine, le Laos et le Cambodge. Depuis la construction du premier barrage chinois, beaucoup d’espèces sont en danger d’extinction, comme par exemple le Dauphin de l’Irrawaddy Orcaella brevirostris. En outre, le niveau du fleuve a baissé. On observe également que les poissons pêchés sont plus petits et moins nombreux. Enfin, le port de Chiang Rai fonctionne à un quart de son activité normale, et la navigation entre Chiang Rai et Luang Prabang dure deux jours faute de niveau d’eau suffisant.
… et très pollué
Utilisé pour l’irrigation, comme réceptacle de systèmes de drainage et d’eaux usées, pour la pêche et la pisciculture, le transport et la fourniture d’eau pour l’industrie et les particuliers, le Mékong est également connu pour ses habitations et marchés flottants. Les diverses pollutions sont donc une autre source d’inquiétude. En effet, le Mékong est un fleuve aujourd’hui encore pollué par l’usage intensif d’herbicides dont le puissant Agent Orange-dioxine par l’armée américaine de 1961 à 1972. Sans compter les pesticides abondamment utilisés aujourd’hui dans les agricultures locales. On a repéré des déchets plastiques même dans les zones les plus profondes du fleuve, ainsi que des « filets fantômes », perdus ou abandonnés par les pêcheurs, dans lesquels les poissons se retrouvent pris au piège.
Quel avenir pour la faune sauvage ?
Pollutions chimiques, pollutions physiques, pollutions sonores, pollution visibles et invisibles, développements régionaux, intérêts politiques et lobbies économiques, populations en augmentation…, La faune sauvage, terrestre ou aquatique, ne fait décidément pas le poids face à notre mode de vie uniformisée et à not prolifération. Une raie géante devant laquelle on s’émerveille aujourd’hui, mais qui n’existera sans doute plus que dans nos photothèques d’ici quelques années. Quelle place laissons-nous à la nature ? A priori, de moins en moins…