La Réunion : pour des mesures de protection non létales
Contre la pêche des requins à La Réunion, des mesures non létales
Pour « sécuriser le littoral de l’île », les autorités de La Réunion ont choisi de pratiquer une pêche intensive sur deux espèces ciblées : le requin-bouledogue et le requin tigre. La pêche ne « sécurise » pas car on attire les requins en utilisant des hameçons appâtés posés à 200-300 m des plages de la côté ouest. Depuis qu’elle se pratique à La Réunion, on constate plus d’attaques.
1990-2010 : 31 attaques dont 14 fatales en 20 ans
2011-2020 : 25 attaques dont 11 fatales en 9 ans
Bien que ciblée sur deux espèces, cette pêche génère beaucoup trop de prises accessoires. Près de 70% des prises sont des espèces menacées de disparition. D’ailleurs, l’objectif de cette pêche est-il de sécuriser, ou de tuer du requin? Concernant la pêche des requins tigres – également une espèce menacée -, il faut l’arrêter car elle décime une population fragilisée. En effet, depuis 2011, une seule attaque sur 25 implique un requin tigre.
Cette pêche appâtée attire près des côtes des animaux connus pour faire de grands trajets dans les océans (cf. étude CHARC : « On constate un déplacement important dans une zone pélagique à 450km au sud de la Réunion, soit une capacité de quitter le littoral réunionnais pour le requin bouledogue et de migration transocéanique du requin tigre de 2000km jusqu’à Madagascar. »
Avant tout, prévention, éducation et bon sens
Il faut noter qu’il y a un manque notable d’éducation du public à La Réunion sur les requins et la façon d’éviter les interactions. En Australie, il y a le « Australian Surfing Guide to Sharks« , à Hawaii, le Hawai’i sharks/safety Tips.
Après l’accident de décembre 2020, Saint-Martin a rappelé qu' »il est important d’avoir conscience que les risques d’accidents ont toujours existé et qu’ils existeront toujours. Le fait d’avoir un environnement commun avec la faune sauvage implique des interactions qui, parfois, peuvent être négatives pour les humains. Cependant, il est possible de réduire ces risques à notre propre échelle en adoptant certains gestes comme :
• ne pas rejeter de la nourriture dans la mer (comme du poisson, de la viande) à proximité des eaux fréquentées par les baigneurs ;
• ne pas nourrir VOLONTAIREMENT la faune sauvage (que ce soit des poissons, des requins ou autres). Cette pratique est observée sur le territoire afin d’observer la faune sauvage mais elle engendre des risques d’accident par la modification du comportement général et alimentaire ;
• éviter de se baigner dans les eaux troubles (notamment les embouchures surtout après une forte pluie) ;
• éviter de se baigner la nuit, au lever ou au coucher du soleil ;
• suivre les mesures mises en place par les autorités (interdiction de baignade par exemple).«
A titre de comparaison, sur le site du Centre Sécurité Requin de La Réunion, on parle vaguement de drapeaux et de plages surveillées. Mais zéro éducation des usagers après 10 ans de ce qui est appelé « crise requins ». Avec presqu’un million d’euros par an, le CSR pourrait faire mieux en matière d’éducation ; y a-t-il seulement un expert scientifique spécialiste requins parmi leurs salariés?…
Arrêt des dispositifs post-attaque et post-observation, fin des DCP
Ces deux dispositifs post-attaque et post-observation se veulent des opérations ciblées dans le temps (72h) et l’espace (1 mile autour du lieu de l’attaque ou de l’observation). Toutefois, l’étude CHARC a démontré en 2013 que les requins parcouraient rapidement de grandes distance autour de l’île (5h pour aller de Saint-Paul à Sainte-Marie, en vitesse de croisière). Cela signifie que la probabilité de retrouver le requin responsable de l’attaque est infime. Sans compter que l’appâtage massif reste dangereux.
En outre, l’étude BIOTOPE de 2012 affirme que : « Cette mesure n’a jamais produit de résultats satisfaisants (cf. Hawaï), la proportion des attaques étant toujours la même (Wetherbee, 1994)».
Alors, pourquoi maintenir ces dispositifs ? La pêche et le dispositif post-attaque rapportent beaucoup d’argent à ceux qui sont impliqués. Et probablement n’est-ce encore que la partie visible de l’iceberg que représenterait quelque marchandage politico-économique … Assurément, c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles ces dispositifs perdurent, car cela ne peut pas être pour leur efficacité à « sécuriser ».
Durant les deux premières semaines de janvier 2021, des observations – parfois fantaisistes – ont déclenché de nombreuses pêches post-observation. A titre d’exemple, le 13 janvier 2021, un pêcheur à la gaulette a vu son poisson coupé en deux « par un petit requin de 1m » à Grande Ravine. L’information est relayée au Centre Sécurité Requin. Il s’est avéré que les pêcheurs du coin parlaient plutôt d’un barracuda …. Cela a donné lieu à une pêche post-observation de 72h avec un requin tigre de 3.20m tué, pour combien de prises accessoires ? (aucune communication de la part du CSR).
Dans cette logique, il conviendrait de réduire les 57 DCP (dispositifs de concentration de poissons) existants autour de l’île, et d’éloigner les DCP restants. Pourquoi ? D’une part, les concentrations de poissons attirent les grands prédateurs donc les requins. D’autre part, il faut donner du répit aux stocks de poissons car la surpêche que nous pratiquons, industrielle ou de plaisance, implique la disparition des proies naturelles des requins, et le bouleversement de tout le réseau trophique (chaîne alimentaire).
Des mesures de surveillance
Contrôle des ports : En métropole, on surveille les ports avec des caméras. Pourquoi pas à La Réunion ? L’objectif serait d’éviter que les bateaux de pêche (plaisanciers ou autres) ne nettoient leurs poissons en jetant les déchets organiques dans les ports. Ces déchets de pêche attirent les prédateurs et augmentent les risques d’accident.
Le dispositif VRR, vigies requins renforcé : est un protocole d’observation des spots de surf afin de détecter une présence de requins, d’en alerter les pratiquants, et le cas échéant, d’évacuer. Un responsable désigné des vigies doit à chaque début et fin de surveillance, informer le CROSS via VHF ou GSM de leurs heures et lieux d’action. La pratiquer du surf se déroule après 9h00 du matin et avant 15h00, et jamais en eaux troubles ou en présence d’eau douce. Ce protocole – le seul qui fonctionne bien – s’insère dans le plan global de réduction du risque requin à la Réunion.
Responsabilisation des contrevenants : Bien que la pratique du surf – hors cadre – soit interdite par l’arrêté préfectoral de 2013, quelques surfeurs irresponsables passent outre l’interdiction. Soit. Dans ce cas, pourquoi ne pas en place un système de décharge à enregistrer en mairie, à la gendarmerie, ou auprès de la ligue de surf ? Le surf est interdit mais si on veut surfer quand même, le surfeur signe une décharge qui lui fait prendre ses responsabilités face aux risques encourus. Et ceux qui ne signent pas sont contrevenants susceptibles de payer une amende. A chacun d’assumer sa passion et les risques inhérents.
Création d’une brigade d’éducation : Et puisque l’Etat tolère que les surfeurs aillent à l’eau (malgré son arrêté préfectoral… ??), les autorités pourraient mettre en place une brigade formée pour faire de la véritable prévention. Une brigade ayant de solides connaissances scientifiques des requins et de la mer, qui communique sur les règles et sur les risques, auprès de tous les publics. Aujourd’hui, on ne peut pas parler des requins dans les écoles à cause de quelques farfelus d’associations pro-pêche qui se croient compétents sur le sujet. C’est une absurdité sans nom. Faire des requins un tabou et laisser le public dans l’ignorance n’évite pas le danger.
Surveillance par drônes : Des drones de détection de requins sont utilisés sur les plages de Nouvelle-Galles du Sud (NSW, Australie) par le Ministère des Industries primaires (avec des opérations menées par Hover UAV) dans le cadre de la stratégie de gestion des requins de 16 millions de dollars australiens du Gouvernement de NSW. Les drones se sont avérés remarquablement efficaces pour repérer les requins, identifier les espèces et pêcher, taguer et déplacer le requin s’il s’avère être potentiellement dangereux. Cela suppose un vrai programme scientifique avec de véritables scientifiques experts en requins. Et pourquoi La Réunion ne deviendrait-elle pas un pôle international d’études sur les requins ? (si on arrête de les tuer…)… euh, peut-être n’y en a-t-il pas assez ?…
En tout état de cause, en Australie, à Hawaï, on a cessé de tuer systématiquement les requins. On préfère les taguer avec des tags satellite, les suivre en temps réel, les étudier et donner l’alerte dès qu’un requin tagué est sur une zone surveillée.
Barrières non létales et autres solutions
Shark Fence est une proposition faite en 2015 : une barrière anti-requins constituée d’une rangée de tubes en plastiques fixés au fond de l’eau et équipés d’aimants pour former un champ électromagnétique répulsif, avec des caméras sous-marines. Pas de suite connue…
Shark Safe Barrier : Les tests pratiqués en Afrique du Sud et aux Bahamas ont prouvé que Shark Safe Barrier peut efficacement éloigner les requins d’une source de nourriture et protéger efficacement une zone de baignade, en gardant les requins séparés des humains. Le système est en test de résistance à St-Paul depuis 2019. Où en sont les évaluations ?…
Les EPI ou équipement de protection individuelle Le CSR est parti en mission en Nouvelle-Calédonie pour tester ces équipements (Il n’y avait pas assez de requin à La Réunion ??). Des études montrent que les EPI fonctionnent sur les requins bouledogues ; ils sont déjà utilisés depuis de nombreuses années en Australie. Cela doit évidemment rester à la charge des surfeurs.
Conclusion
Les solutions non létales ne manquent pas et de nombreux pays confrontés au risque des requins y ont recours. Le cabinet BIOTOPE avait produit en 2012 une étude sur les systèmes existants dans le monde. Depuis, de nouvelles technologies et les recherches en la matière se poursuivent. Pour ce qui est de La Réunion, il ne faut pas oublier que si l’île est de « petite » taille, sa topographie, ses conditions météo, la nature des fonds, les courants, etc… sont très diversifiés d’un endroit à l’autre. Il faut donc adapter des solutions différentes en fonction du littoral concerné. Et peut-être aussi accepter une façon de cohabiter avec la nature sauvage, comme le faisaient les anciens.
C’est pourquoi les premières mesures non létales (après l’arrêt de la pêche) devraient être l’éducation et la recherche scientifique. Les budgets ainsi libérés de ces pêches assassines permettraient la mise en place de solutions plus efficaces et non létales pour la biodiversité. Et la création d’emplois pérennes. Encore faudrait-il pouvoir parler des requins de façon apaisée et constructive …
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