Les migrations des grands requins blancs : Nicole et Lydia
Après avoir été les mal-aimés et mal connus de la science, l’étude des requins connaît un engouement certain depuis une vingtaine d’années. La génétique moléculaire d’abord, puis plus récemment l’étude des comportements de ces animaux sont à l’origine de nombreux programmes (plus de 200 dans le seul Pacifique), et leurs résultats nous éclairent un peu plus sur ces animaux, toutes espèces de requins confondues.
Présents dans toutes les mers tempérées du globe (Atlantique, Pacifique, Océan Indien, Méditerranée…), les grands requins blancs (Carcharodon carcharias) fascinent et … font peur. Ils ont été probablement parmi les premiers dont on a étudié les mouvements grâce aux balises satellitaires et ils sont classés, depuis 2000, comme espèce vulnérable par l’Union Internationale de la Conservation de la Nature (UICN).
Deux femelles ont été marquées par un tag satellitaire, à plusieurs années d’intervalle, et c’est le récit de leur périple que nous vous proposons de retrouver dans cet article.
En 2004, Nicole, l’aventurière de l’hémisphère sud…
La pointe de l’Afrique du Sud est connue comme étant un spot où vit une population de grands requins blancs. Michael Sholl, biologiste marin, y a travaillé plusieurs années et a ainsi identifié près d’un millier d’individus grâce aux photos qu’il a prises de leurs ailerons. En 2004, dans le cadre du programme scientifique visant à une meilleure connaissance de l’espèce, une balise satellite a été placée sur un animal particulier, Nicole, avec laquelle un lien différent s’est établi au fil du temps. C’est en l’honneur de l’actrice australienne, Nicole Kidman, qui défend les requins, que deux scientifiques, Michael Scholl et Ramon Bonfil ont baptisé Nicole une femelle grand requin blanc (Carcharodon carcharias) de 4 mètres de long (à priori pas encore adulte à l’époque) et pesant environ 500kg. Nicole est devenue l’ambassadrice de son espèce, si mal connue des hommes. Elle a permis aux scientifiques d’avancer vers de nouvelles hypothèses.
Il faut prendre conscience que nos connaissances sur les grands requins blancs – et sur les autres – sont encore faibles. Il faut remercier Nicole de nous avoir permis de découvrir quelques mois de sa vie. Et remercier les scientifiques d’avoir partagé avec nous cette intimité.
En effet, avant Nicole, plusieurs hypothèses concernant les migrations de ces requins existaient, avec en fait très peu d’informations : on supposait que les mâles effectuaient de grandes migrations océaniques alors que les femelles restaient à peu près sur leur territoire, ou que les femelles remontaient vers les eaux plus chaudes de la côté Est de l’Afrique du Sud. Or, Nicole a surpris les scientifiques. Elle a quitté les côtes sud-africaines théoriquement protégées pour rejoindre les eaux internationales où tous les dangers la guettaient. Et l’on sait désormais que chez les grands requins blancs, ce sont les femelles les plus aventurières…
Au 28ème jour, la balise satellite qui capte la luminosité, la pression et la température de l’eau indique que Nicole est descendue à -982m de profondeur, là où il n’y a plus de lumière. On découvre ainsi qu’elle « plonge » régulièrement puisque cela représente au total pratiquement 18% de son temps à cette profondeur.
Le grand blanc est parfaitement adapté à son environnement. Il possède un odorat remarquable et détecte l’odeur de ses proies : les substances chimiques émises par les poissons et véhiculées par les courants. De plus, ses ampoules de Lorenzini lui permettent de détecter le champ électrique des animaux et autres objets sous-marins (reliefs). Mais à presque 1000 m de profondeur, la température ambiante est d’environ 3°C et le froid est une épreuve. Sa température corporelle peut être de 14°C supérieure à celle de l’eau à condition de nager. Pour cela, il lui faut de l’énergie : où la trouve-t-elle ? Probablement dans la nourriture. Elle remonte également régulièrement pour se réchauffer. Mais pourquoi descend-elle ? Sans doute pour « prendre son cap », toujours grâce à ses ampoules de Lorenzini qui lui permettent de s’orienter en fonction du champ magnétique terrestre, un peu comme un GPS intégré.
Au 37ème jour, Nicole atteint les 40èmes rugissants où des vents forts soufflent en permanence. Puis Nicole atteint l’île Marion qui constitue un point de « ravitaillement » dans ce désert océanique : éléphants de mer, manchots royaux, otaries du Cap et leurs petits. Attention: l’endroit est aussi fréquenté par un concurrent et prédateur dangereux pour Nicole, l’orque. Le cétacé pèse 15 fois plus, et chasse en famille. Ce sont 2000 km qui ont déjà été parcourus depuis son départ des côtes sud-africaines.
Au 50ème jour, elle traverse l’océan Indien, mer de tous les dangers et zone de massacre de la faune marine. Un bateau de pêche à la palangre jette plus de 3000 hameçons sur des centaines de mètres de filets. Au total, ce sont plus de 4 millions de hameçons par jour, soit plus d’1 milliards de hameçons par an pour satisfaire nos appétits de thon en conserve pour agrémenter nos salades dites diététiques ou dans les fameux thuna sandwiches de nos amis anglo-saxons…Sans compter la centaine de requins tués chaque année pour leurs ailerons. La pêche à la senne est également un véritable massacre : un filet de 1,5 km de long sur 250 m de profondeur, que l’on resserre pour former une « piscine » de 600 m de diamètre sur 250 m de profondeur où sont alors emprisonnées toutes les espèces : cétacés, requins, tortues et autres poissons, parfois même des oiseaux marins…
Au 86ème jour, Nicole est parvenue à éviter les pièges des palangriers et autres coupeurs d’ailerons et a parcouru plus de 6000 km. Comment s’oriente-t-elle ? Une hypothèse scientifique estime que les requins blancs – et d’autres espèces – s’orientent grâce aux champs magnétiques terrestres générés par le noyau liquide en mouvement au centre de la terre et transportés grâce aux ions conducteurs dont l’eau de mer est riche. Peut-être aussi par le soleil ? Il semble que Nicole sache évaluer également le sens de la houle et la variation de salinité de l’eau. Quoiqu’il en soit, elle garde le cap de sa destination encore inconnue pour les scientifiques…
Au 100ème jour : Nicole emprunte les couloirs de navigation australienne. Cette fois, le risque majeur est celui de la pollution physique : un filet-fantôme (i.e. filet à l’abandon) est un danger de mort pour tous les habitants des océans.
Elle atteint enfin son but après la côte occidentale australienne : Ningaloo reef, récif corallien où la vie pullule en février avec la reproduction en masse du plancton. En 3 mois, Nicole aura accompli la plus longue migration connue d’un poisson : 11100 km ! Le précédent record connu était détenu par un mâle grand blanc entre la Californie et Hawaï, soit sur une distance divisée par trois.
Mais beaucoup de questions demeurent sans réponse : pourquoi effectuer une telle traversée ? Pour la reproduction et un nécessaire brasage génétique (cela reste un mystère aux yeux des scientifiques pour cette espèce) ? Pour la nourriture ? Quelles pourraient être les autres raisons ??
Au 112ème jour, l’équipe perd sa trace, l’émetteur s’étant détaché de Nicole.
Qu’est devenue Nicole ? Quelques 6 mois après, c’est avec joie et soulagement que Michael a retrouvé Nicole dans les eaux d’Afrique du Sud, soit plus de 20 000 km de parcourus depuis son départ, 9 mois plus tôt. Mais depuis, Nicole n’a jamais été revue… Nous vous invitons à vivre le périple de Nicole dans l’émission « Un requin nommé Nicole » sur Arte.
En 2013, Lydia et la traversée de l’Atlantique…
En mars 2013, Lydia, une femelle grand requin blanc mesurant 4,4 mètres de long pour un poids d’environ une tonne, a été équipée d’une balise GPS au large des côtes de la Floride, en même temps que d’autres membres de son espèce dans le cadre du projet Ocearch. L’initiative a été lancée pour mieux comprendre le cycle de vie des spécimens de l’espèce des grands requins blancs, l’état de leur population et leurs comportements de reproduction. Pour ce faire, une balise GPS a été fixée à l’aileron dorsal d’un échantillon de plusieurs requins. A chaque fois que l’animal remonte près de la surface un signal est envoyé permettant aux chercheurs de les localiser en temps réel. Près d’un an plus tard, les signaux émanant de son dispositif indiquaient qu’elle était désormais à l’est de l’océan Atlantique, à moins de 1300 kilomètres des côtes britanniques. Les données récoltées par la balise de Lydia indiquaient que l’animal avait parcouru sur une année une distance de 30.000 kilomètres. Ce chiffre confirme l’état des connaissances sur les femelles de l’espèce, connues pour réaliser de grandes migrations dans les océans du globe. Là encore, la destination de Lydia n’était connue que d’elle seule…
Les grands requins blancs sont des ambassadeurs des océans ; nous ne savons que peu de choses à leur sujet. Respectons les océans et protégeons leurs habitants.
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