Morsures de Sharm-El-Sheikh
Entre le 30 novembre et le 4 décembre 2010, la station balnéaire de Sharm-El-Sheikh, à la pointe du Sinaï en Egypte, a connu une suite d’accidents : quatre personnes ont été blessées par des requins et une cinquième, une touriste allemande, est décédée des suites des morsures dont elle avait été victime. Bien sûr, on a déjà beaucoup écrit à ce sujet. Et les journaux d’un peu partout ne se sont pas privés : certains titres permettent toujours de meilleures ventes, pour des générations élevées dans la crainte des requins après le fim-fiction « Les dents de la mer ». Quelques précisions toutefois sont nécessaires ; ces informations ont été reçues de la part de personnes ayant enquêté sur place et ne sont pas juste le fruit d’une synthèse d’articles trouvés sur le net.
On ne peut que regretter ces incidents et leur issue fatale pour l’une de ces victimes, ainsi que les blessures invalidantes reçues par les quatre autres personnes. Toutefois, les requins ne sont pas à incriminer : les requins mangeurs d’hommes n’existent pas si ce n’est dans l’imagination collective. Si l’on regarde les faits, ce sont bien les conséquences des activités humaines qui ont généré ces malheureux évènements.
Tout d’abord, il a été confirmé qu’un cargo devant livrer des moutons vivants pour la fête de l’Aïd-el-Kebir du 16 novembre 2010 s’est débarrassé en mer, la veille, des carcasses d’animaux morts ou mal en point et ce, à 5km du rivage alors que la législation ne le permet pas dans un rayon inférieur à 15MN (soit environ 28km), voire 25MN quand il s’agit d’une zone marine protégée (comme la zone marine de Hurghada par exemple). Certains bateaux de croisière vident également leurs déchets juste avant de regagner la côte au lieu de le faire au large…
D’autre part, si le chumming et le feeding sont interdits par la loi, bon nombre de bateaux de croisière ont continué jusque récemment à les pratiquer pour satisfaire les touristes que nous sommes et attirer les requins au plus près. Ces compagnies de croisière risquent désormais de perdre leur licence définitivement s’ils sont pris en train de faire du chumming (mélange d’huile de poisson et de sang qui est diffusé dans l’eau et qui attire les requins).
Les pêcheurs sont également en cause : ils pêchent dans des zones où cela leur est interdit, mais les touristes en vacances au bord de la mer apprécient le poisson grillé… Moins de nourriture « naturelle » pour les requins (moins de poissons en général), sans compter le fait que les pêcheurs rejettent certaines prises (qui attirent plus près des rivages les prédateurs du large). Et surtout, les requins vivant près des côtes ou requins de récif, ont été les victimes d’une surpêche. La nature ayant horreur du vide, les requins du large peuvent désormais investir les régions côtières.
L’Egypte a pris la décision de renforcer les contrôles vis-à-vis des pêcheurs et d’envoyer l’armée patrouiller en mer pour arraisonner les bateaux de pêche contrevenants se trouvant dans les eaux des parcs nationaux.
Enfin, les touristes de hôtels qui aiment se baigner ont pris la mauvaise habitude de nourrir les poissons qui viennent en bord de plage, et qui sont les proies naturelles des requins. Il est pourtant interdit de nourrir des animaux sauvages en safaris terrestres, et même dans les zoos ou aquariums du monde. On crée ainsi chez les animaux des habitudes sans penser aux comportements que cela peut générer chez ces derniers. Et on s’étonne que des animaux sauvages n’aient pas des réactions d’animaux domestiques, qu’ils soient imprévisibles « oui, mais cela n’était jamais arrivé avant…. » Pourquoi l’homme a-t-il toujours besoin d’un accident pour comprendre l’erreur commise en amont ? Il est prévu que des amendes soient infligées aux hôtels laissant faire leurs invités, mais de quel montant et cela sera-t-il suffisamment lourd pour arrêter cette pratique de nourrissage?
Les requins incriminés sont, semble-t-il, des requins longimanes et des makos adultes. Malheureusement, suite à ces épisodes tragiques, au moins 6 requins ont été pêchés afin de « retrouver les coupables »…. Des animaux juvéniles, semble-t-il, puisque certaines images parues dans la presse égyptienne montrent des requins d’1,20m ou 1,50m (voir les fiches d’identité de notre blog). La mer Rouge n’abrite plus autant de requins qu’avant, fallait-il se laisser aller à une expédition punitive – une hérésie totale – qui prive ces animaux d’une de leur prochaine génération ? Les requins habitent les océans depuis 400 millions d’années et l’homme considère que la mer lui appartient…
Michael Sholl, biologiste marin et spécialiste des requins, a écrit un excellent article (en anglais) que je vous laisse de découvrir ci-après « Sharm-El-Sheikh deaths: Don’t blame the sharks »: http://www.channel4.com/news/sharm-el-sheikh-deaths-dont-blame-the-sharks